Jean Della Dora était né en 1946 et est décédé quelques mois après avoir pris sa retraite en juin 2009.
Pur produit, au sens scientifique et universitaire, de la filiation grenobloise initiée par Jean Kuntzman, il a été l’un des derniers élèves mais certainement le plus proche de Noël Gastinel. Sa contribution personnelle à l’évolution des mathématiques appliquées et à l’informatique grenobloise au cours des trente dernières années en porte témoignage.
Titulaire d’une licence de Mathématiques (« pures ») en 1967, puis d’un DEA de Mathématiques en théorie des nombres en 1969 sous la direction de Claude Chabauty, il choisit de s’orienter vers les mathématiques appliquées au côté de Noël Gastinel. Nommé Assistant à l’université Joseph Fourier (alors dénommée Université Scientifique Technologique et Médicale de Grenoble – USTMG), il consacra sa première année à obtenir la Maîtrise de Mathématiques et Applications Fondamentales et à commencer son premier travail de recherche qui fut conclu en 1973 par une thèse de troisième cycle : « Sur quelques algorithmes
de recherche de valeurs propres » dans laquelle, en particulier, les algorithmes étudiés (LR, QR) étaient vus à travers l’analyse de certains sous-groupes de matrices.
Maitre-Assistant à l’USTMG en 1975, il orienta son travail vers l’approximation des fonctions de variable complexe (Padé-Hermite, cadre hilbertien, …) qui aboutit à la soutenance d’une thèse de Doctorat d’Etat en 1980 dont le deuxième sujet, suggéré par Bernard Malgrange, portait sur les équations différentielles singulières dans le champ complexe.
Avant même sa soutenance, son intérêt pour l’étude de méthodes adaptées au calcul formel l’avait amené à co-diriger des thèses de troisième cycle. Par la suite, au cours de la quarantaine de directions de thèses et d’habilitations à diriger des recherches, il a pu poursuivre la transmission de sa culture mathématique très large, abordant des questions et des chapitres qui pouvaient paraître étrangers aux mathématiques appliquées de l’époque, mais lui permirent d’anticiper l’explosion des moyens de calcul que l’on connut par la suite. Cette culture, il l’a aussi acquise par son goût pour les livres : chacun l’ayant côtoyé se souviendra du plaisir manifesté par Jean lorsqu’on le croisait dans une bibliothèque scientifique ou une librairie de la ville, fouillant les ouvrages de mathématiques mais aussi de sciences fiction et d’histoire des sciences. Cela fera de lui, tout au long de sa carrière et plus récemment, un défenseur inlassable des bibliothèques universitaires tant localement que nationalement.
En 1980, alors que Jean Kuntzman quittait la direction du LA 7 (Laboratoire Associé n07 du CNRS), que le laboratoire IMAG naissait, Jean Della Dora prit la responsabilité de l’équipe d’analyse numérique : jusque-là, les numériciens évitaient discrètement le contact avec les (grosses) machines de calcul (et ceci malgré les incitations incessantes de Noël Gastinel mais, bénéficiant de l’apparition des premiers « ordinateurs personnels », Jean Della Dora sut d’une part permettre à l’équipe de disposer d’une machine IBM, puis de quelques Micral et d’autre part encourager les membres de l’équipe à se confronter aux joies de la programmation.
Il encourageait et participait aux groupes de travail interdisciplinaire qui se développaient à l’époque (théorie des automates et applications, contrôle et automatique, verres de spin et phénomènes critiques, …).
Par ailleurs, les cycles de restructuration (déconcentration et reconcentration) des laboratoires, fédérations et autres pôles débutaient. Le premier cycle aboutit en 1983 au découpage du laboratoire IMAG en cinq laboratoires et à la création du laboratoire TIM3 à laquelle Jean Della Dora prit toute sa part : réunir des équipes d’architecture de circuits, de sûreté de fonctionnement, d’analyses d’images biologiques et médicales, d’analyse numérique, de probabilité et statistique fût sa grande oeuvre initiale. Bien qu’encore Maître-Assistant à l’USTMG (jusqu’en 1985 date à laquelle il devint Professeur à l’INPG), la direction du laboratoire TIM3 lui incomba de façon évidente.
Facilitée par le retour d’une politique volontariste au bénéfice des universités et de la décentralisation, Jean Della Dora sut apporter à chacun des membres du laboratoire tout le soutien (recherche de financement, personnel, conditions de travail) nécessaire au développement de leur projet (quand il n’en n’était pas lui-même l’inspirateur) : machine parallèle (Michel Cosnard), informatique médicale et modélisation en médecine (Jacques Demongeot), … Un peu comme l’avait été Noël Gastinel (qui nous quitta en septembre 1984), Jean se voulait modestement (trop, parfois) générateur d’idées, cherchant toujours à faciliter la réalisation des projets, sans compter ni son temps, ni son énergie, mais avec enthousiasme et humeur joyeuse.
Les réunions au sein du laboratoire étaient vivantes, parfois rugueuses, parce que à contenu scientifique, fondées sur le développement des projets et Jean n’était que peu concerné par les aspects de gestion administrative bien que respectueux et attentif aux personnes qui en avaient la charge. Cette activité a permis, lors de la nouvelle déconcentration de 1989, l’éclatement du laboratoire TIM3 en Laboratoire de Modélisation et Calcul (LMC), Laboratoire TIMC et le laboratoire d’informatique de l’ENS de Lyon.
Jean Della Dora a quitté la direction du laboratoire en 1991 mais, jusqu’à la fin de sa carrière, et tout en étant présent et très actif au sein de son équipe de recherche, a continué son rôle d’animation scientifique au sein de la Fédération IMAG en différentes périodes, au Centre Inter-Universitaire de Grenoble (1991-96) ou au sein des conseils d’administration de l’ENSIMAG et de l’INPG, privilégiant le rôle des échanges, la conviction en la liberté du chercheur plutôt qu’une vision étroite du directeur ou du responsable scientifique.
Dès 1980, Jean Della Dora s’est intéressé au Calcul Formel et a participé à son développement à Grenoble, en France (Greco de Calcul Formel) et au niveau international (CATHODE, CADE). Plusieurs domaines ont été étudiés : arithmétique des nombres algébriques, algèbre linéaire, équations différentielles linéaires et non-linéaires, équations aux différences, équations algébriques. Il a exploré aussi le calcul formel parallèle et fait créer par ses étudiants le premier système de calcul formel (PAC) tournant sur une machine parallèle. Dès le début, ces recherches se sont faites en collaboration avec l’ULP (Jean-Pierre Ramis) et l’ULB (Léon Brenig), puis cette collaboration s’est très vite élargie au niveau international : création du projet européen CATHODE (deux working groups) et une collaboration avec les USA (projet CADE) et avec le Canada (Stephan Watt). Jean a eu un rôle majeur dans la communauté Calcul Formel et Equations Différentielles. Il a été très novateur dans les directions de recherche, et précurseur dans sa compréhension et sa vision de l’outil « calcul formel ».
Trait d’union entre ses travaux en algèbre linéaire exacte et ses intérêts pour le calcul, sa curiosité légendaire lui a permis de lancer très tôt les recherches sur la complexité et les modèles de calcul parallèles, à l’origine de l’équipe, puis du laboratoire Informatique et Distribution.
Toujours attentif au développement de sujets aux interfaces entre mathématiques et informatique, Jean Della Dora s’est naturellement investi dans le domaine des systèmes dynamiques hybrides, y voyant une opportunité pour le développement de nouveaux algorithmes de calculs à mi-chemin entre symbolique et numérique, et, en précurseur, un cadre de modélisation à même de nous aider à comprendre les mécanismes de la régulation génétique. Dernièrement, Jean Della Dora se passionnait pour les réseaux de systèmes dynamiques évolutifs et suivait de très près les travaux en cours au sein de l’équipe CASYS.
Jean Della Dora a participé à nombre d’enseignements, de tout niveau, touchant au cours de sa carrière à tous les thèmes de l’analyse numérique, du calcul algébrique et formel et équations différentielles (dans le champ complexe, dynamique, hybride). Il a conçu des enseignements pour ingénieurs introduisant les outils algébriques dont on connaît aujourd’hui l’intérêt non seulement pour le calcul formel mais aussi pour la cryptographie. D’ailleurs, il a mis très tôt cette expérience à disposition des enseignants des classes préparatoires, de ses collègues enseignants dans les écoles d’ingénieurs et au sein d’une commission de modification des programmes de l’agrégation.
Plus récemment, il s’est investi dans l’enseignement des mathématiques aux jeunes en difficulté dans le cadre d’une association, ce qui l’a conduit à de nouvelles interrogations pédagogiques.
Son audace dans la remise en question, sa faculté d’innover, sa large culture scientifique, et sa passion de la recherche ont donné lieu à de grandes avancées dans les domaines qu’il a étudiés. Jean Della Dora a su communiquer cette passion à tant de jeunes chercheurs et il a su les lancer sur des voies souvent originales et novatrices.
On le comprendra, dans l’histoire des mathématiques appliquées et de l’informatique à Grenoble, Jean Della Dora aura la place originale qui revient aux créateurs et aux initiateurs, sans oublier l’enthousiasme et l’humour.